• Un couple d'aphasiques
  • Des aphasiques en cours de gymnastique
  • Des aphasiques qui chantent
  • Des aphasiques en cours de gymnastique
  • un aphasique avec son in

 

Les conséquences psychosociales de l'aphasie
pour les proches de personnes aphasiques

L'aphasie a un impact majeur dans la vie de la personne qui en est atteinte, mais les difficultés vécues par les proches des personnes aphasiques sont cependant beaucoup moins connues. Je m'y suis intéressée dans le cadre de ma maîtrise en orthophonie et je vous présente ici un bref aperçu des résultats obtenus. Les résultats suivants proviennent d'entrevues réalisées avec des groupes de proches de personnes aphasiques (conjoints (es), enfants, sœurs, amies). Lors des entrevues, il leur a été demandé de répondre à la question suivante : « Selon votre expérience, quels sont les différents changements que l'aphasie peut provoquer dans la vie des proches de personnes aphasiques ».

Une vie bouleversée
L'aphasie amène un profond bouleversement dans la vie des proches. Les mots employés par les participants sont clairs : « Ça change tout ! ». « Ça a changé ma vie », quand ça arrive « c'est la fin du monde. (...) la terre arrête de tourner »,... Un des premiers bouleversements est l'hospitalisation. La période suivant l'AVC est particulièrement chargée pour le proche : il y a le choc de l'AVC lui-même, l'hospitalisation, l'incertitude et la réadaptation. L’évènement de l'AVC et l'annonce que la personne aphasique ne parlera plus comme avant sont des coups durs pour les proches. Les remarques entendues sont parfois décourageantes et les proches trouvent que le pronostic est prononcé trop vite et présenté trop brutalement à la personne aphasique. Lorsque la condition médicale de la personne aphasique est instable, l'hospitalisation est particulièrement difficile pour le proche et cela lui fait ressentir beaucoup d'inquiétude. La réadaptation occupe aussi beaucoup de place. Le proche assiste aux thérapies et/ou conduit la personne aphasique à ses thérapies, fait des exercices à la maison et cela demande beaucoup de temps. Cependant, lorsque la personne aphasique fait des progrès, les proches rapportent ressentir de la joie et de la fierté. Tous ces changements exigent beaucoup d'adaptation pour les proches. Ils sont confrontés à un trouble inconnu : l'aphasie; ils doivent faire de nouveaux apprentissages pour compenser les déficits de la personne aphasique, changer leur façon de vivre, et, de façon générale, leur façon de voir les choses. L'adaptation peut être tellement difficile que des problèmes de santé chez les proches peuvent survenir. Les proches reçoivent en général, du soutien dans ces moments difficiles. Cependant, le soutien n'est pas toujours constant. Certains disent même n’avoir reçu que très peu ou pas de soutien durant la période d’adaptation et affirment globalement que les proches sont les grands oubliés de l'aphasie.

La vie de couple
La communication entre le proche et la personne aphasique est évidemment très différente de ce qu'elle était auparavant. Dans les premiers jours, le proche essaie de parler à la personne aphasique sans savoir ce qu'est l'aphasie. Il ne sait pas comment s'y prendre et ne comprend pas les difficultés auxquelles elle fait face. L'aphasie amène des changements de rôle dans la communication entre les partenaires. La communication repose davantage sur le proche puisque la personne aphasique ne peut plus communiquer aussi facilement qu'avant. Le proche fait de nombreux efforts pour tenter de deviner ce que la personne aphasique veut dire et il essaie également de l'aider à mieux comprendre, ce qui peut rendre la conversation avec la personne aphasique plus épuisante. Parfois, le proche parle à la place de la personne aphasique, ce qui peut créer des tensions. Le proche doit malgré lui servir d'intermédiaire lorsque la personne aphasique ne peut exprimer ses besoins. Les malentendus causés par les difficultés de communication entraînent souvent des tensions et des discussions houleuses. Les échanges n'ont plus la même richesse qu'auparavant et finissent parfois même par être moins fréquents. En général, le trouble de communication suscite des sentiments plutôt pénibles : gêne, douleur, impuissance, malaise face aux difficultés vécues, colère, impatience. Les rôles que les personnes s'étaient attribués sont nécessairement modifiés, de façon volontaire ou involontaire, lorsque l'une des deux perd certaines capacités. Suite à la perte du travail de la personne aphasique, le proche doit parfois travailler davantage pour subvenir aux besoins du foyer. À la maison, le partage des tâches et des responsabilités (comptabilité, entretien, cuisine,...) n'est plus le même. Pour différentes raisons, la personne aphasique dépend souvent plus du proche, suite à l'AVC. Cette plus grande dépendance est parfois liée à la perte du permis de conduire ou aux difficultés motrices. À d'autres moments, il s'agit plutôt d'une insécurité du proche à laisser seule la personne aphasique. Le proche désire protéger la personne aphasique, ce qui paraît intimement lié à un sentiment très présent dans les entrevues : la peur. Ce sentiment ressort constamment dans le discours des proches et semble faire partie intégrante des suites d'un AVC et de l'aphasie. Suite à l'AVC, de nombreux changements peuvent survenir chez la personne aphasique, le proche la percevant parfois comme une nouvelle personne. Cette dimension prend d'ailleurs beaucoup d'importance dans les entrevues. Premièrement, le proche trouve que la personne aphasique a changé de caractère ou de personnalité et cela semble difficile à vivre. Deuxièmement, le proche vit avec une personne qui n'a plus les mêmes capacités. Que la personne aphasique soit réellement diminuée ou qu'elle soit perçue comme telle, c'est difficile à accepter. La relation entre le proche et la personne aphasique est donc différente. Elle change parfois pour le mieux et les gens rapportent alors qu'ils se sont rapprochés l'un de l'autre. Pour d'autres personnes, la relation entre le proche et la personne aphasique est cependant moins bonne et on retrouve même des séparations.

La vie sociale
Ce qui frappe à ce niveau, c'est la perte de certains amis ou l'éloignement de la parenté. Les proches expliquent de diverses façons ce phénomène : les gens ont peur, ils ne connaissent pas l'aphasie, ils ne peuvent plus parler à la personne aphasique, ils ont de la difficulté à voir la personne aphasique dans cet état. En contrepartie, il y a aussi parfois des liens qui se resserrent autour de la personne aphasique et de ses proches. Les participants ont peu parlé des changements dans le travail rémunéré et les loisirs. Sur le plan du travail, ce qui ressort est que les proches doivent parfois quitter leur travail pour prendre soin de la personne aphasique ou à l’inverse, travailler davantage pour remplacer la personne dans l’entreprise lorsqu’elle était à son compte ou encore pour combler le budget familial. Il va sans dire que la diminution des revenus amène parfois des changements dramatiques dans la vie familiale. Les loisirs de la personne aphasique et des proches sont également touchés suite à l'AVC. Les proches ont souvent moins de temps disponible et les loisirs en compagnie de la personne aphasique sont également différents en raison des difficultés de celle-ci, de sa plus grande dépendance, du manque d'argent, ... On constate donc que les proches sont durement touchés par l'aphasie. Leur vie étant également bouleversée, ils devraient être aidés à s'en tirer le mieux possible. Il convient de reconnaître que les proches ne font pas qu’aider la personne aphasique : ils sont eux aussi directement «atteints» par l'aphasie.
Manon Poulin http://www.aphasie.qc.ca/divers/consequences.htm